- Lucas ! Que faites-vous ?
- Rien, rien m’dame .
- Montrez-moi votre cahier !
- J’ai rien fait m’dame, j’vous l’jure .
- A quoi bon jurer, montrez-moi votre cahier.
Je lui tendis alors mon cahier et je vis le visage de Mme Maijeo virer au rouge tomate.
– Quoi ! vous dessinez pendant mes cours ? Pour vendredi vous me ferez les verbes : pourrir, haïr, prendre, rugir à tout les temps…
– Quoi ? Mais …
– Vous me ferez le verbe vomir aussi, pour votre insolence.
Le cour d’éducation civique était celui que je détestais le plus. Mon professeur, Mme Maijeo, était très sévère. Si je dessinais en cours, c’est que je m’ennuyais à mourir. Et que j’adorais dessiner. Pendant ce cours, mon seul centre d’intérêt, c’était ma voisine, Marion. Elle avait de longs cheveux bruns, un visage magnifique, des yeux marrons et des lèvres…
– Hé ! Picasso. C’étaient Tim, Tom et Tam, la bande des trois T. Valait mieux ne pas les croiser ceux-là. Je fis comme si je ne les avais pas entendu.
– Hé, mais c’est pas Picasso, c’est Beethoven…
– Pourquoi tu dis ça Tom ? demanda Tim.
– Ben Beethoven, il était sourd…
Pendant que les trois frères ricanaient bêtement, j’en profitais pour m’enfuir.
– Hé, les gars, il se casse…

Le monstre aux pieds verts

Les trois terreurs ont commencé à me poursuivre. Dans mon collège, il y a un immense couloir avec, au fond, une porte sur laquelle est écrit : « Interdiction d’entrer ». J’eus la bonne idée d’emprunter ce couloir. J’entendis Tam dire : « Il a pris le couloir, il est fait comme un rat. » J’arrivais devant la porte et, pris au piège, je l’ouvris et entrai.
Haletant, je refermai la porte derrière moi et cherchai l’interrupteur. Je finis par le trouver et j’allumai la lumière. Là, je vis un immense tableau noir. Attendant que mes poursuivants s’éloignent, je décidai de profiter de l’occasion. M’approchant de la boîte de craies, je lus avec surprise : « Made in Dessineville ». Dessineville ? J’étais imbattable en géographie, je connaissais tous les pays, enfin presque. Mais pas Dessineville. Ça devait être un endroit vraiment paumé.
J’ouvris le paquet et pris une craie beige. Sur le tableau, je fis un cercle qui se remplit de jaune. Je m’éloignai du tableau et me pinçai pour me réveiller. Puis j’ouvris grand les yeux et aperçus un pied poilu et vert. Ce n’était pas celui d’un humain. Il y eut soudain beaucoup de vent. Il faisait voler mes cheveux. Le possesseur du pied sortit enfin du cercle. Il avait une grosse tête, des petits yeux gris et un gros nez rouge. Ses lèvres étaient bleues et laissaient dépasser deux grosses dents jaunes. J’étais terrorisé. Puis il baragouina quelques mots qui me firent rire.
– Eüh… français ? inglish ? spagnol ?
– Français, répondis-je, riant toujours
– Tant mieux, j’parle ni spagnol ni inglish
– Ni english – Qu’est-ce que tu veux ?
– Moi rien. Et vous ? D’où venez-vous ?
Il désigna le tableau
– De là…
– Ça, je sais, j’ai vu. Mais ça mène où ?
– A Dessineville. Il me prit la main et me tira vers le tableau
– Viens, j’vais te montrer.
– Hé, une minute. Vous êtes qui, vous ?
– Quelle question ! un dessin bien sûr… Il me tirait toujours vers le tableau
– Allez viens, j’vais te faire visiter Dessineville.
Et nous plongeâmes dans l’aventure. J’avais l’impression de traverser un liquide. Je tombais. J’atterris sur les fesses, juste à côté de la bête. Je regardais autour de moi. C’était trop beau. Le paysage était tout mignon avec ses arbres, ses fleurs et ses petites maisons pleines de couleurs. Il y avait des monstres rigolos partout. Le mien se releva et m’entraîna devant une maison où il y avait plein de monde.
– Ça, c’est le bar le plus connu de Dessineville, à cause de sa taille et de son grand luxe.
– Oh ! fis-je. Nous continuâmes la visite. C’était très amusant.
– Comment vous êtes faits ? demandais-je à mon guide.
– Il y a très longtemps, en 1948, Pablo Picasso a laissé une schéma à un homme dont le nom m’est totalement inconnu. Cet homme a construit une machine, ou du moins un tableau où dès que l’on y dessine quelque chose avec la boîte de craie que tu as trouvée, le bonhomme ou la chose tombent à Dessineville.
– Ben pourquoi moi, ça n’a pas marché ?
– Parce que tu as commencé à dessiner un cercle et que le cercle est l’ouverture du monde de Dessineville. C’est une jolie montre que tu as là…
– Merci. Oh ! il est 20 heures ! Il faut que je partes. J’ai mes devoirs, ma punition à faire et maman va s’inquiéter.
– Pour les devoirs et la punition, j’veux bien t’aider. Donne !
Je sortis mon cahier et ma trousse de mon sac et les donnai au monstre. Il les attrapa, ouvrit le cahier et se mit à crayonner très vite. J’étais halluciné. Il referma le cahier et me le tendit sans un mot.
– Ouah ! Comment tu as fait.
– Nous, les dessins, on naît très intelligent. Pas besoin d’école.

Retour au collège

– T’en as de la chance. Bon, c’est pas tout ça, mais comment je rentre…
– T’as la craie ? Je fouillai mes poches et finis par la trouver.
– Bon, alors maintenant, tu dessines un cercle.
– Où ça ?
– Ben en l’air, n’importe où.
J’obéis et découvris ainsi qu’on pouvais dessiner un rond dans l’air tout seul comme ça. Il était aussi jaune que tout à l’heure, et surtout aussi gluant. J’y mis le pied avec un air dégoûté et dis au monstre qu’il faudrait changer la frontière parce que c’était assez dégoûtant. Il y avait pensé et travaillait dessus.
– Allez, salut ! lui dis-je
– Salut, reviens me voir
– J’essaierai
Je franchis la frontière, un peu inquiet à cause de l’heure. J’atterris dans la pièce au tableau. J’ouvris la porte. Il faisait encore jour et il y avait de l’agitation dans les couloirs. Je regardais alors ma montre. Elle indiquait 14h30. Cette montre était devenue folle. Je sortis dans le couloir et trouvais Marion.
– Lucas ! T’étais passé où ? On t’as cherché à la cantine.
Que Marion me cherche, c’était un vrai bonheur. Je bafouillais
– Heu, j’avais pas faim. Dis, tu sais quelle heure il est ?
– 14h30 pourquoi ?
Je lui fis un large sourire en criant : « Yes ! » elle me regarda toute surprise.
– Ben oui, c’est super, on a fini, on rentre à la maison… Allez, à demain.
– A demain.

Un rendez-vous

Je courus à la maison, j’enfonçai la clé dans la porte, me précipitai dans ma chambre, vidai mon cartable et regardai mes cahiers : tout était fait, mes exercices de science et de mathématique, ma rédaction de français et ma punition… Génial. J’avais l’après-midi pour jouer sur l’ordinateur.
Le soir, après dîner, avant de me coucher, je repensai à ma journée. Je pris la craie beige et, sur mon petit tableau, je dessinais une petit bonhomme. Je commençais par le corps, puis les yeux, le nez, la bouche et enfin un cercle pour la tête, à ce moment là, le bonhomme disparut. J’étais bouche bée.
Le lendemain, je me levais en traînant des pieds comme tous les matins. Puis je me souvins de tout ce qui s’était passé la veille. Je me dépêchai de me préparer pour aller au collège le plus vite possible. J’allais dans la cuisine pour prendre mon petit déjeuner. Je mis mon lait à chauffer. Mais quand je voulus prendre mon bol dans le four à micro onde, il y a avait une petite étiquette où il y avait écrit : « Rendez-vous à Dessineville à 15h45 précises. »